Philosophie


Autant il est possible d'aborder simplement le kung-fu par sa valeur sportive, autant il est difficile de le comprendre sans en passer par une approche de la philosophie intrinsèque à ce type de discipline.


Dans ce chapitre, vous trouverez diverses rubriques permettant une approche de quelques-unes des ses constituantes.


La philosophie, quelle qu'en soit l'origine, est une tentative d'interprétation globale du monde et de l'existence, que ce soit par le questionnement, la méditation, la recherche du beau ou du bien.


Ethique et Arts Martiaux Chinois

Les valeurs chevaleresques du Wushu.

Par Charlotte Wihane


« La bonne conduite est celle qui répond au critère de raison et de créativité » selon Bruce Lee. A l’époque de l’ancienne Chine, seuls les élèves qui avaient cultivé les principes d’éthique étaient considérés comme digne de recevoir l’enseignement.

Alors ces principes, quels sont-ils ? Le wushu, en tant qu’activité physique et spirituelle liée à l’histoire d’un peuple, d’une culture est extrèmement riche tant en forme qu’en fond. Les écoles sont nombreuses et ils existent des centaines de milliers de formes. Mais le wushu est aussi un art. Et c’est pour cela qu’il est en même temps utilisé dans les scènes de combat et d’acrobaties des opéras chinois.

Les principales règles. Avec ces multiples aspects, nous pouvons dégager des VALEURS MORALES D’ETHIQUE et de pratique de l’ART MARTIAL et ces valeurs s’inscrivent dans des règles que tout pratiquant à le loisir de rencontrer dans sa vie d’artiste martial chinois (AMC).

 

JINGLI : le salut

 

Au début et à la fin de la séance : symbole « saluer comme si l’on s’inclinait ». Le temps est intégré dans ce geste, le salut ouvre et ferme le temps de travail. Honorer le rituel et respecter le rite, c’est accepter ses anciens comme faisant partie de sa vie de pratiquant, car c’est grâce à eux que nous sommes là. En saluant, et en rentrant dans « le dojo », nous sommes censés oublier le monde extérieur et renouer avec notre passé et avec nous. C’est « vider sa tasse » pour se remplir de l’apprentissage au sein du cour. Lorsque la séance d’AMC se termine, il est aussi habituel de saluer. Salut TAOISTE en avançant le pied gauche puis le pied droit parallèle au pied gauche. Le salut va commencer.

La main gauche : elle est le symbole des quatre océans. Le pouce doit donc être plié et bien collé sur l’index. Il vous représente et vous situe en tant que pratiquant qui se doit de rester modeste vis-à-vis de l’enseignement qui lui est porté. Le pouce plié est un signe de modestie : vous vous montrez humble et prêt à recevoir un enseignement. Cette main peut aussi représenter l’érudition, la connaissance, donc toute l’histoire des AM.

La main droite : elle est le symbole des cinq continents, les doigts forment un poing bien fermé avec le pouce à l’extérieur. Elle représente le combat et le courage. Les doigts peuvent être légèrement placés vers l’extérieur. C’est un signe de générosité, un don du cœur envers l’autre.*

L’union des deux mains : elle symbolise le pratiquant qui utilise son intelligence du cœur et ses connaissances pour parvenir avec courage au combat sans le sentiment de méfiance et de peur. L’un des objectifs du salut est donc de garder en mémoire que durant les entraînements, nous sommes là pour apprendre, pour recevoir et c’est pourquoi notre esprit doit être aussi vide qu’une tasse de thé, pour mieux le remplir !

Le salut représente l’union du YIN et du YANG. Il est le premier geste qui UNIT. A partir de là, l’enseignement peut commencer. Il ouvre la séance, puis la ferme.

 

CULTIVER LE SILENCE

 

Parler n’est pas nécessaire pour se construire une identité martiale, au contraire il faut se taire en acceptant cet état, cette « situation ». C’est le seul moyen de progresser : le pratiquant n’a pas à affirmer sa volonté de puissance mais à s’en défaire. La seule façon d’arriver à se concentrer est de se taire. Le bavard ignore l’essentiel des lois qui régissent le combat puisqu’il va perdre de l’énergie dans ses paroles. Le silence permet de concentrer ses facultés pour permettre en pratique l’aphorisme platonicien : « Connais-toi toi-même ». D’ailleurs, c’est LAO TSEU qui donne une valeur importante : « ceux qui connaissent ne parlent pas, ceux qui parlent, ne connaissent pas ». Il y a bien par conséquent tout un code moral et martial à acquérir afin de réussir dans sa pratique.

 

LES VALEURS MARTIALES

 

Il n’y a pas que la force physique, l’apparence extérieure du pratiquant qui compte. C’est aussi sa façon de penser, d’oublier sa pensée, son intellect, d’observer et d’oublier son ego. Le Wushu sera donc considéré comme un art qui tend à apprendre aux pratiquants comment fortifier, parfaire ses qualités intérieures éthiques, sa vertu émotionnelle en parallèle avec sa force et sa souplesse physique.

 

WUDE, la vertu martiale

 

L’instruction va de paire avec l’instruction morale voire mentale. Si le Wushu apparaît dans un premier abord comme ce qui donne de la force physique, de la vitalité, il ne faut pas oublier la partie cachée mais primordiale qui est la force de la vertu et de la pratique de cette vertu. Ce que confirme Me Li Ming Zhi (Président de l’école des AM de Leizhou) : « Les arts martiaux permettent de cultiver la vertu : c’est le moment le plus important : respecter le professeur, les autres et soi-même. Connaître sa vertu, c’est apprendre à être un Homme ». C’est ainsi que nous pouvons développer nos aptitudes cognitives et sensorielles pour devenir un être complet. Ainsi grâce à cet élan métaphysique le pratiquant donnera une autre dimension à sa technique : cela se verra dans son apparence physique et sur son visage, une forme d’éthique. C’est comme un supplément d’âme, un tremplin qui aide à perfectionner sa force physique, son élan vital, sa vertu, mais pour cela il faut de l’endurance et du temps : « un élève peut passer trois années à chercher un bon professeur et un professeur trois années à tester un élève. » A l’époque de l’ancienne Chine, seuls les élèves qui avaient cultivé les principes d’éthique que nous énumérons ici, étaient considérés comme dignes de recevoir l’enseignement de ces arts martiaux par les grands maîtres.

 

L’ESPRIT ET L’ACTION

 

Pouvons nous dissocier ces deux types de vertu ? Il semble que l’un ne peut aller sans l’autre. La bonne action s’exprime à travers un esprit vertueux. IL y a interpénétration entre les deux sans laquelle la moralité de l’acte ou de la pensée ne dure pas dans le temps. Toute action suppose une intention et cette intention, si elle se considère de bonne vertu ou tout simplement bonne, s’extériorisera dans une bonne action. Si nous devons appliquer ce principe aujourd’hui, nous pourrions dire que la vertu des actes concerne la relation de l’élève vers son maître, son professeur, ses camarades, sa famille, son entourage : donc avec l’autre. C’est une quête de soi et une quête de la bonne entente avec autrui. Mais que cultive un esprit vertueux ?

 

QIAN XU, l’humilité

 

« Plus il est grand, plus bas s’incline le bambou. » En restant humble, vous recherchez toujours le moyen de vous améliorer et continuer à apprendre. Nous retrouvons ici un principe cher à la philosophie occidentale, originaire de la pensée de Socrate par Platon : « Je sais que je ne sais rien et je continue à apprendre ». Tel un philosophe, le pratiquant et son professeur… continueront d’apprendre et à se questionner sur leur art.

 

ZUN JING : le respect

 

C’est le fondement de toute relation humaine. Le plus important est le respect de soi-même, ce respect se gagne, il ne peut être ni demandé ni exigé. Respecter le cours, c’est respecter un enseignement par un professeur. Donc c’est accepter le dialogue et l’échange de connaissances au pluriel. La manière dont vous aimez et respectez les autres correspond à la manière dont vous méritez d’être traité à votre tour. L’Ethique du Wushu, c’est l’humanité, le visage de l’homme en général : l’humanité est cet ensemble de caractères communs à tous les hommes qui nous dirige vers une sympathie spontanée envers nos semblables. Cette pensée nous mène vers non seulement une éthique du comportement mais aussi vers une philosophie des gestes et vers une pratique et une pensée martiale, une droiture en quelque sorte.

 

ZHENG YI : la droiture

 

La droiture consiste à se diriger de manière droite dans sa vie et auprès des autres. C’est la vertu initiale : se comporter comme un chevalier. Dans l’art du Wushu, c’est éviter les coups non légaux, qui ne seront pas acceptés et l’amitié est toujours de rigueur. A travers ces différents principes, nous saisissons l’essence même des AMC ou non martiaux cultivés depuis des millénaires. A travers le temps, s’est inscrite une éthique qui ne s’apprend pas uniquement dans les livres, mais dans le jugement personnel et le questionnement de ce qui peut être bon et vertueux. Oui, l’éthique dans le Wushu existe parce qu’elle s’est exprimée, affinée dans le temps. Elle a évolué et cristallisé dans les gestes une recherche d’humanité. Et l’humanité s’exprime à travers l’amitié et la sympathie que nous avons envers notre entourage. La sympathie ne veut pas dire familiarité mais dévoiler le sentiment d’empathie, le sentiment de cœur. La confiance et le respect s’unissent.

 

YIN YONG : la confiance

 

Être une personne sur laquelle on peut compter et aussi avoir confiance en soi et en les autres. La confiance est la clé de l’amitié et c’est la meilleure façon de mériter le respect dans son travail, la salle de pratique et le combat avec les autres pratiquants. La confiance en soi ouvre les portes et la confiance envers autrui. Sans véritable honnêteté et loyauté, il est difficile dans un dojo de s’entendre harmonieusement.

 

ZHONG CHENG : la loyauté

 

La loyauté est la racine de la confiance. Elle permet le respect mutuel.

 

YI ZHI, la volonté

 

La volonté est la forme de l’activité personnelle qui comporte sous sa forme complète la représentation de l’acte à accomplir. Dans la volonté, il y a l’intention de faire …Dans ce mouvement de la volonté, il s’agit de bien agir. « C’est aussi la motivation, le besoin d’écouter, de regarder, d’être patient, de se corriger régulièrement de pratiquer avec assiduité. » S’il y a une moralité dans les AMC, elle s’exprime d’abord et avant tout dans l’esprit de ses pratiquants et aussi de ses professeurs. Sans cela l’école même ne perdure pas. Les personnes qui réussissent ne sont pas toujours les plus malignes, mais celles qui ont de la patience, de l’endurance et du courage.

 

LE CHEMIN

 

C’est l’apprenti qui devient sage au fur et à mesure qu’il travaille son outil et qu’il apprend à maîtriser ses passions et s’entoure de la vertu martiale. Avec le temps et l’expérience, certaines valeurs sociales sont imposées aux AM et ont fait leurs identités. Si la société moderne s’est partiellement désistée dans son rôle d’éducateur, la pratique du Wushu a donné une nouvelle signification du monde à ses pratiquants et les valeurs de l’art chinois sont devenues aussi des valeurs de la vie quotidienne « une fois la technique maîtrisée ne l’employer que pour se défendre ; se garder de tout acte non réfléchi, de toute brutalité et de toute conduite grossière et agressive. » Comme un substitut salvateur, l’art du Wushu a fondé, dans le temps et avec le temps ses propres structures tels des échafaudages, sa propre société et sa propre philosophie.

 

DU MULTIPLE A L’UN

 

Une fondation solide qui peut être connue et reconnue comme une valeur dans une société telle que la nôtre, doit passer par plusieurs étapes avant d’en saisir le premier sens. Autrement dit, s’agirait il de faire le chemin à l’envers, de commencer par la fin, par le chemin accessible à tous, la pratique et de continuer son chemin de disciple, d’élève jusqu’au plus difficile à comprendre, à entendre, à acquérir : le premier principe du Wushu. En fait, c’est commencer par le multiple, par la fin et aboutir, si on a la pugnacité, à l’unité, à l’un. C’est tout le travail du disciple sur le chemin de la connaissance. Qu’est il cet un, le commencement de cette fondation ? Nous sommes encore là pour apprendre…

« Et quand arriverai-je au sommet de la montagne ? – Grimpe et tu verras ».